La Chine : un pays très vaste en pleine pénurie de médecins. Un contexte donc particulièrement favorable au développement de la e-santé. Ce marché est dominé par les géants de la Tech chinois. Télémédecine, intelligence artificielle (IA), applications mobiles, objets connectés… tous les secteurs sont concernés.
En Chine, les médecins généralistes sont rares. Le pays compte seulement 1,8 médecins pour 1000 habitants selon l’OMS (soit deux fois moins qu’en France). Ainsi, pour le moindre bobo, les Chinois vont à l’hôpital. Évidemment, les établissements sont bondés et les temps d’attente décourageant. La e-santé se développe donc très fortement depuis quelques années notamment via l’Internet mobile, aujourd’hui dans la poche de 788 millions de Chinois. Le marché de la m-santé pourrait ainsi atteindre 110 milliards USD en 2020, selon les prévisions du BCG en Chine.
Une volonté gouvernementale
Face à de très fortes attentes de la population, le gouvernement chinois s’est engagé, dès 2015, à corriger les nombreux défauts structurels du système de santé : inexistence de médecins généralistes, grandes difficultés d’accès aux médecins spécialistes, extrême hétérogénéité de la qualité des soins entre villes et campagnes mais aussi entre hôpitaux, et coût élevé des soins avec un reste à charge important pour les patients.
En 2012, le plan d’investissement de 9.5 milliards USD lancé par le Ministère de la Santé avait pour but de permettre l’émergence du dossier médical électronique et la modernisation des systèmes d’information hospitaliers – quasiment pas interconnectés, y compris au niveau d’une même ville. La circulation sécurisée des données médicales, si elle paraît basique, est fondamentale pour assurer le bon suivi des soins et des patients au fil du temps, et permet une communication efficace entre les spécialistes.
En 2015, le Conseil des Ministres chinois a franchi un pas supplémentaire en publiant le Plan National Santé 2015-2020, y affichant clairement la volonté du gouvernement d’utiliser toutes les nouvelles technologies de l’information – y compris les objets connectés – pour améliorer le niveau de qualité des services de santé. Et quand le gouvernement central s’engage, les entreprises d’État mobilisent les fonds nécessaires.
Tencent acteur majeur de la e-santé chinoise
Créée en 1998, la société Tencent s’est spécialisée dans les services internet et mobiles ainsi que dans la publicité en ligne. Elle est notamment propriétaire de l’application mobile WeChat qui compte plus d’un milliard de comptes dans le monde et mais édite aussi le jeu vidéo League of Legends (100 millions de joueurs mensuels).
Tencent a lancé en 2017 Artificial lntelligence Medical Innovation System (AIMIS). Déjà plus de 100 hôpitaux du sud de la Chine l’utilisent pour le diagnostic précoce du cancer de l’œsophage : AIMIS, construit à partir des données et des images de dizaines de milliers de patients, analyse une image endoscopique en moins de quatre secondes et peut définir, avec un taux de précision supérieur à 90%, si l’œsophage est normal, inflammatoire ou présentant un signe de cancer. Des applications au cancer du poumon (premier cancer en Chine) et à la rétinopathie diabétique sont en phase d’essai clinique. Le système AIMIS de Tencent a été retenu par le gouvernement chinois comme la plateforme nationale de référence en matière d’IA appliquée au diagnostic médical.
Avec WeDoctor, Tencent a développé en zones rurales des centres de e-santé dotés d’une IA capable de diagnostiquer les maladies courantes tout en proposant des téléconsultations. Ce programme de diagnostic permet au médecin, après avoir entré les symptômes de la personne concernée, de se voir suggérer un traitement adéquat. Celui-ci est calculé à partir d’une base de données répertoriant plus de 5 000 symptômes et 2 000 maladies. WeDoctor offre un taux de précision de 90% et est utilisé par 2 700 hôpitaux, 220 000 médecins et compte plus de 27 millions d’utilisateurs actifs.
Tencent est aussi à l’origine de « Tencent Trusted Doctors », une start-up e-santé proposant des consultations en ligne avec plus de 440 000 médecins chinois qualifiés et disponibles dans son système. Enfin, le géant chinois a lancé mi-mars un programme baptisé « Tencent Health ». Il s’agit d’un service de téléconsultation utilisant l’application WeChat pour mettre en rapport patients et médecins.
Tencent est ainsi devenu un acteur incontournable de la e-santé en Chine. C’est pour cette raison que le laboratoire Merck a annoncé la signature d’un accord de collaboration stratégique avec cette société dans les services numériques dédiés à la santé en Chine, en s’appuyant sur l’IA.
En Chine, la protection des données personnelles est quasi inexistante, ce qui a permis à l’IA médicale de se développer rapidement. Une étude a révélé que 97% des applications de m-santé étaient dépourvues de toute sécurité et ne mentionnaient aucune protection des données. Avec un gouvernement chinois qui exerce la surveillance de masse, la collecte des données médicales par les acteurs de l’e-santé soulève donc des inquiétudes légitimes.
Alibaba et Baidu ne sont pas en reste
Entre 2010 et 2015, Baidu a investi plus de 100 millions USD dans des services de prise de rendez-vous mais aussi – et massivement – dans le big data et l’IA appliqués au secteur de la santé. En 2016, Le Google chinois a lancé un nouveau service intitulé Baidu Doctor, un chatbot médical pour aider les médecins à diagnostiquer des maladies plus facilement. Melody, de son petit nom, était un bot conversationnel élaboré dans les applications iOS et Android de Baidu Doctor. Lancée en 2015, cette application permettait aux utilisateurs de contacter des médecins locaux, prendre rendez-vous, ou poser des questions.
Cependant, fin 2016, le directeur de la recherche de Baidu a été convoqué par les autorités du pays, alors que la firme faisait face à un barrage de critiques sur la mort d’un étudiant ayant utilisé l’application pour rechercher un traitement contre le cancer. Le service a finalement fermé.
Alibaba, qui possède lui aussi sa filiale e-santé (AliHealth) propose une plateforme de télémédecine et de délivrance de médicaments. Le groupe avait aussi inauguré un service d’achat et de livraison de médicaments. Ce dernier n’a cependant pas perduré. DoctorYou, le service de diagnostic d’AliHealth, lancé avant l’AIMIS de Tencent, n’a quand à lui jamais vraiment percé.
Le géant du e-commerce chinois a aussi investi, en 2016, 35 millions USD dans une plateforme d’imagerie médicale, Wanliyun Medical Information Technology, lui permettant ainsi de détenir 25% du capital de cette société. En avril 2015, Aliyun (filiale d’Alibaba dédiée au cloud computing) annonçait la création d’une nouvelle plate-forme d’administration des soins de santé permettant aux hôpitaux d’échanger des informations médicales et d’analyser de façon agrégée des données patients.
Un cabine de consultation autonome
Cotée à Hong Kong, Ping An Good Doctor est, avec 228 millions d’inscrits, l’une des plus importantes plateformes chinoises de soins médicaux en ligne. Elle dit recevoir quotidiennement 500 000 demandes de consultations.
Les patients entrent dans l’application mobile leurs données personnelles et antécédents médicaux et décrivent leurs symptômes. Sur cette base, une IA émet un diagnostic, qui est transmis à un praticien en chair et en os. Ce dernier vérifie et valide la pré-analyse réalisée par l’IA et rédige au besoin une ordonnance. Les malades n’ont plus à se déplacer jusqu’à un cabinet médical.
Mais c’est parfois la médecine qui vient à eux sous la forme de cabine de consultation autonome. Fin 2018, Ping An Good Doctor annonçait la mise en service à Wuzhen d’une clinique sans personnel soignant. La cabine de quelques carrés, flanquée d’un distributeur de médicaments, proposait une consultation à distance avec un médecin pour un diagnostic préliminaire. 100 médicaments sont disponibles sur place et le complément peut être commandé en ligne via l’application Ping An Good Doctor, et livré en une heure via les pharmacies de proximité.
Xiaoyi, le petit robot docteur chinois
Fin 2017, il décrochait son diplôme de médecine en obtenant 456 points sur 600 à l’épreuve écrite de l’examen national chinois. Xiaoyi, « le petit docteur » en chinois, est le tout premier modèle de robot médecin doté d’une IA développé par la société iFlytek. Xiaoyi a depuis été placé dans plusieurs hôpitaux de la province de l’Anhui (à l’ouest de Shanghai) où il établit des pré-diagnostics pour les patients.
Le développement de la e-santé constitue pour la Chine un enjeu économique et sociétale majeur compte tenu de l’étendue du territoire et du manque de médecins. Le besoin de la population est réel et sera croissant dans les années à venir.
Pour autant, le développement de la e-santé se heurte quand même à la lenteur des réformes gouvernementales et à la réticence des établissements hospitaliers. Lors de l’annonce de la fermeture de sa division dédiée à la santé en 2016, Baidu a expliqué que ses collaborateurs n’avaient pas réussi à convaincre les hôpitaux publics (90% de l’activité médicale) de travailler avec eux. A Pékin par exemple, chaque médecin est enregistré en moyenne dans plus de 5 applications, mais la plupart n’a pourtant jamais donné de conseil en ligne. Une réticence qui devrait néanmoins disparaitre rapidement à condition que les données de santé ne soient pas exploitées à des fins malveillantes.