Lors de Vivatech, nous avons rencontré Isabelle Vitali, Directrice Innovation et Business Excellence chez Sanofi. Elle nous parle de startups, de projets collaboratifs et d’éthique.
Arnaud Hacquin : Vous accompagnez différentes startups un peu partout dans le monde, mais en France, quelle est votre stratégie en matière d’accompagnement de startups, et quels sont vos critères de choix ? A quels stades de développement commencez-vous à les accompagner ?
Isabelle Vitali : Nous définissons en amont les sujets sur lesquels on veut travailler, qui ne sont pas forcément liés à une technologie en particulier. Nos équipes planchent sur des questions de fond du type : « Comment renforcer le bon usage des médicaments ? », « Comment faciliter la pharmacovigilance ? » « Comment réduire le temps d’errance diagnostique dans les maladies rares ? », « Comment renforcer le rôle du pharmacien d’officine sachant qu’en France, il y a une forte désertification médicale et que le pharmacien a probablement un rôle important à jouer ? ».
Des réponses à ces questions peuvent être apportées par la technologie, donc nous suivons un processus de design thinking, en discutant avec des professionnels de santé, des associations de patients, pour bien comprendre la problématique et commencer à évoquer des solutions possibles. Par exemple, pour l’amélioration du rôle du pharmacien, on a travaillé avec plus de 100 pharmacies au total, qui ont généré des centaines d’idées qu’on a hiérarchisé et priorisé avec eux. Dans le cadre du 39BIS, notre laboratoire e-santé, nous avons collaboré avec Schoolab, un écosystème d’innovation, pour identifier un certain nombre de solutions que l’on souhaitait développer.
Une fois que cela est défini, nous cherchons la bonne startup à dynamiser et nous établissons des synergies. Nous les choisissons en fonction de la technologie qu’ils développent et de leur expérience dans le domaine. Nous voulons être très concrets. Par exemple, une plateforme algorithmique de gestion des patients atteints de maladie chronique, nous avons choisi Observia qui travaille avec nous sur ce sujet.
En résumé, on aide les startups à se développer, on est souvent leur premier client, mais dans un mode de fonctionnement qui est dans un état d’esprit de partenariat plutôt que de « parrain ». Chaque partie prenante va compléter l’expertise de l’autre.
A.H. : Disposez-vous des études de marché à ce stade, ou de business models ?
I.V. : Pas toujours, ce n’est pas évident dans certaines situations. En revanche, on a idée de ce que l’on veut développer et nous documentons l’ensemble de ces activités. A cet effet, nous avons créé un livre blanc pour recenser toutes les solutions que nous avons identifiées avec les pharmaciens, car nous ne pouvons pas toutes les faire. Mais nous souhaitons livrer notre travail à la communauté scientifique et aux innovateurs, pour qu’ils puissent prendre le relais, et faire ce que nous ne pouvons pas faire. En quelque sorte, c’est aussi une façon de participer et d’encourager les startups à se développer.
Pour Unir, une de nos initiatives pour réduire le temps d’errance dans les maladies rares, nous avons réuni des médecins, des centres d’expertises, des associations de patients, pour définir le cheminement du patient qui « erre » avant d’être orienté dans le bon centre d’expertise. Ensuite, nous avons travaillé avec des startups comme Anamnès pour définir la technologie pouvant répondre à ce problème. Quatorze solutions ont été identifiées.
A.H. : En termes de financement, vous devenez donc le client de la startup ?
I.V. : Oui, souvent nous sommes leur premier client mais tout en co-développant la solution avec eux. Comme nous voulons mettre le patient au centre, nous évaluons continuellement notre travail pour connaître la valeur d’usage des solutions digitales. Notre expérience de laboratoire pharmaceutique permet de tenter de mettre en place des études cliniques.
A.H. : Et les notions d’éthique, notamment au regard de la valeur clinique de ces applications ?
I.V. : Nous sentons qu’il y a un vrai engouement global de l’ensemble des parties prenantes, y compris du payeur et des autorités de santé. La facilitation de ces nouveaux outils est accompagnée d’évaluations qui sous-tendent une forme de responsabilisation des acteurs. Naturellement, au 39BIS nous nous posons tout comme eux un certain nombre de questions éthiques. Il faut que nous ayons une approche responsable si l’on veut que cela marche et rester vigilants.
A.H. : Comment gérez-vous ces questions éthiques ?
I.V. : Nous avons des spécialistes de l’éthique et de la compliance qui sont très éclairants. Dans notre démarche collaborative, nous sommes en train d’élaborer un Conseil Consultatif d’Éthique en e-santé, accompagnés par une startup, ADEL, et des data scientists, des juristes, des associations de patients, des médecins, des infirmières ou encore des spécialistes de la cybersécurité.
A.H. : Des échecs, et des leçons à en tirer ?
I.V. : Oui, il y en a, bien évidemment, mais cela veut dire qu’on a essayé de faire des choses différentes. Une première leçon : penser assez vite le business model, et ne pas attendre d’arriver à maturation, car il n’y a rien de pire qu’une solution qui a de la valeur pour l’écosystème mais qui n’est pas financée. Mais nous avançons sans nous décourager !