Lors du salon MEDINTECHS, une table ronde passionnante a exploré le potentiel de l’intelligence artificielle générative dans le domaine de la prévention en santé. Face à deux défis majeurs – le manque de données préventives et l’absence de modèles économiques solides – l’IA pourrait bien révolutionner ce domaine en permettant une personnalisation accrue des parcours de soins et une prise en charge plus efficace des patients à risque.

L’IA générative : une révolution pour la prévention en santé

La table ronde, animée par la professeure Stéphanie Allassonnière (Université Paris Cité), a réuni quatre experts de haut niveau :

  • Erin Johns (Pharmacienne experte en santé publique – CNAM)
  • Henri Souchay (Expert en imagerie et IA – GE Healthcare)
  • Véronique Torner (Co-fondatrice et Directrice Générale d’Alter Way, Groupe Smile)
  • Stanley Durrleman (CEO & co-fondateur de DocMemo.com)

Dès l’introduction, Véronique Torner a souligné la nécessité de repenser le système de santé en s’appuyant sur les technologies numériques et l’IA : « Nous sommes à un tournant. L’avenir de la santé passe par une santé augmentée grâce à l’IA, mais elle doit être inclusive, éthique et respectueuse de la confidentialité des données. »

La santé préventive repose aujourd’hui sur un modèle curatif vieillissant, et l’IA générative pourrait permettre de passer d’une logique de soin à une logique de prévention active.

Des cas d’usage concrets déjà en place

Erin Johns a présenté une expérimentation menée par la CNAM pour améliorer le dépistage des maladies cardiovasculaires grâce à l’IA. L’objectif est de déployer un outil d’aide à l’interprétation des électrocardiogrammes (ECG) destiné aux médecins généralistes, afin de renforcer leur confiance dans l’analyse des résultats. « Avec 13 millions de patients concernés par les maladies cardiovasculaires et 20 millions de patients à risque, il est crucial d’améliorer la détection précoce. L’IA nous permet d’automatiser certaines tâches d’interprétation et d’améliorer la prise en charge globale. »

Stanley Durrleman a évoqué le rôle clé de l’IA dans la détection précoce des maladies neurodégénératives. Grâce à des algorithmes d’analyse de données comportementales, DocMemo.com est capable de détecter des signes avant-coureurs de troubles cognitifs plusieurs années avant le diagnostic clinique : « Nous pouvons repérer des signaux faibles de démence trois à cinq ans avant l’apparition des symptômes, ce qui permet une prise en charge plus rapide et plus efficace. »

De son côté, Henri Souchay a présenté plusieurs projets d’imagerie médicale basés sur l’IA :

  • Amélioration des examens IRM grâce à la modélisation par IA, permettant de réduire le temps d’examen tout en augmentant la qualité des images.
  • Soutien au diagnostic précoce du cancer du sein grâce à des modèles de détection basés sur l’apprentissage automatique.
  • Accompagnement des familles des patients en soins intensifs par la création de modèles prédictifs pour mieux informer et rassurer les proches.

« En combinant l’IA avec les données issues de l’imagerie, nous pouvons fournir des informations personnalisées et fiables, même dans des contextes complexes comme les soins intensifs. »

Un modèle économique encore à construire

Si les cas d’usage sont prometteurs, le modèle économique reste un défi de taille. Véronique Torner a insisté sur le fait que la prévention est rarement financée par les acteurs traditionnels : « Aujourd’hui, personne ne paye pour ne pas tomber malade. Le système de santé reste centré sur le curatif, et il est difficile de convaincre les acteurs de financer des programmes de prévention à long terme. »

Henri Souchay a ajouté que l’un des principaux freins reste le cadre réglementaire et la fragmentation des systèmes de remboursement en Europe : « Nous devons harmoniser les cadres réglementaires et créer des standards européens pour faciliter le développement de solutions de prévention basées sur l’IA. »

Le rôle des assureurs et des mutuelles pourrait être déterminant. Aux États-Unis, certains assureurs commencent à financer des programmes de prévention basés sur l’IA en échange d’une réduction des coûts à long terme. Mais en Europe, ce modèle reste encore peu développé.

L’importance de la souveraineté et de la confidentialité des données

Un autre défi majeur soulevé lors de la table ronde concerne la gestion des données de santé. Les intervenants ont insisté sur la nécessité de garantir la confidentialité des données tout en facilitant leur exploitation par des systèmes d’IA.
« L’Europe a une carte à jouer grâce à sa réglementation stricte en matière de protection des données. Mais cette rigueur ne doit pas devenir un frein à l’innovation, » a expliqué Henri Souchay.

La création de data spaces européens est une piste intéressante pour faciliter le partage de données de santé tout en respectant les exigences de confidentialité. Henri Souchay a également mentionné le recours à l’apprentissage fédéré en 2019, une méthode spécifique d’entraînement des modèles d’intelligence artificielle où :

  • Le serveur central agrège les paramètres pour améliorer le modèle global, sans jamais accéder directement aux données.
  • Les données restent sur les serveurs locaux ou les appareils des utilisateurs.
  • Les modèles d’IA sont entraînés localement sur ces données.
  • Seuls les paramètres du modèle (et non les données brutes) sont partagés avec un serveur central.

Une vision à dix ans : vers une médecine personnalisée et prédictive

Les intervenants ont partagé leur vision de l’avenir des soins de santé dans une décennie. Véronique Torner a souligné que la prévention deviendra probablement un pilier du système de santé : « Dans dix ans, nous aurons une médecine prédictive et personnalisée, où l’IA permettra de détecter les risques avant même que les symptômes n’apparaissent. Mais cela nécessitera de convaincre les acteurs de santé de financer ce modèle. »

Stanley Durrleman a insisté sur le rôle du patient dans ce nouveau paradigme : « Il faut éduquer les patients à jouer un rôle actif dans leur santé. Une médecine prédictive implique une participation active du patient dans la gestion de ses risques. »

Enfin, Henri Souchay a souligné que le principal défi sera de concilier innovation et cadre réglementaire : « Nous devons éviter une sur-réglementation qui freinerait l’innovation. L’enjeu est de trouver le bon équilibre entre protection des données et flexibilité pour permettre le développement de solutions d’IA. »

Cette table ronde a permis de mettre en lumière les opportunités et les défis de l’IA générative dans le domaine de la prévention en santé. Si le modèle économique reste à construire, les avancées technologiques sont déjà là. L’avenir de la santé préventive repose désormais sur la capacité à mobiliser tous les acteurs – professionnels de santé, industriels, régulateurs et patients – autour d’une vision commune : une médecine plus prédictive, personnalisée et accessible à tous.