Lundi dernier, lors du salon MEDINTECHS, une table ronde passionnante s’est tenue sur le thème « Réinventer les essais cliniques : l’impact transformateur de la santé artificielle ». Face à des défis persistants en matière de recrutement et de rétention des patients dans les essais cliniques, l’intelligence artificielle (IA) s’impose désormais comme une solution prometteuse. La capacité de l’IA à générer des données synthétiques, à modéliser des cohortes de patients et à affiner les prédictions sur l’efficacité des médicaments ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche clinique.
L’IA : une révolution dans la recherche clinique
Dès le début de la table ronde, Patrick Meshaka (VP Head Medical Affairs Region Europe, Novartis) a souligné que l’IA marque le début d’une véritable révolution dans le domaine des essais cliniques. Il a cité l’exemple de Google DeepMind dans la découverte de nouvelles molécules, ainsi que des modèles prédictifs utilisés dans les études cardiovasculaires. Novartis a ainsi travaillé sur un modèle de maladie cardiovasculaire basé sur des données réelles de patients, permettant de simuler les réactions à un traitement et de prédire l’efficacité d’une molécule sur une large population de plus de 100 000 patients.
« Grâce à ces modèles, nous pouvons anticiper les résultats d’un essai de phase III en nous basant sur des données de phase II. Cela permet non seulement de gagner du temps, mais aussi de réduire les coûts et les risques associés aux essais cliniques, » a précisé Patrick Meshaka.
Génération de données artificielles : une avancée clé
Le Dr Jean-Louis Fraysse (co-fondateur de BOTdesign) a ensuite mis en avant l’impact majeur de l’IA générative dans le domaine des essais cliniques. Grâce à la génération de données artificielles basées sur des patients réels, il est désormais possible de :
- Créer des cohortes artificielles pour compléter des groupes témoins dans les essais cliniques.
- Réduire le nombre de patients réels nécessaires tout en conservant une forte représentativité statistique.
- Étendre les essais à des populations sous-représentées (femmes, seniors, enfants, maladies rares).
« Nous pouvons désormais simuler des cohortes de patients en combinant des données réelles et synthétiques. Cela nous permet de compléter des groupes témoins ou de valider des résultats avec un échantillon plus large, même dans le cadre de pathologies rares ou spécifiques, » a expliqué Jean-Louis Fraysse.
Il a également mentionné les avancées dans la modélisation des maladies rares et les travaux menés avec l’Université Paris Cité pour améliorer la qualité des modèles générés. Cette capacité à enrichir les cohortes est particulièrement précieuse dans des contextes où le recrutement est historiquement difficile (pédiatrie, maladies rares, troubles génétiques).
Les défis de la qualité et de la structuration des données
La question de la qualité et de la structuration des données a été soulevée par Audrey Giraud-Gatineau (PhD en santé publique, épidémiologiste chez Enovacom). Elle a insisté sur la nécessité de disposer de bases de données fiables pour que l’IA puisse produire des résultats exploitables : « Nous devons mettre en place des contrôles qualité rigoureux à l’entrée et à la sortie de nos bases de données afin de détecter les valeurs aberrantes et garantir la fiabilité des modèles, » a-t-elle déclaré.
Audrey Giraud-Gatineau a également mentionné les défis liés à la confidentialité et à l’interopérabilité des données. Elle a souligné que les standards de structuration comme le standard FHIR qui est utilisé pour échanger des données médicales entre acteurs de l’écosystème de santé (entre professionnels de santé dans les établissements, avec le patient dans le cas d’une application de santé, avec les payeurs, etc.) sont essentiels pour faciliter le partage de données entre les acteurs de la recherche clinique.
Les obstacles réglementaires et l’évolution du cadre législatif
L’un des freins majeurs à l’adoption massive de l’IA dans les essais cliniques reste le cadre réglementaire. Vincent Varlet (Directeur exécutif d’EXTRAS) a rappelé que l’agence européenne du médicament (EMA) et la Food and Drug Administration (FDA) avancent à des rythmes différents : « La FDA est plus ouverte à l’intégration de modèles prédictifs basés sur l’IA dans le processus d’approbation des médicaments, alors que l’EMA reste plus prudente. En France, la CNIL impose des contraintes fortes sur l’usage des données personnelles, ce qui freine les avancées dans le domaine. »
Patrick Meshaka a confirmé cette frilosité : « L’essai randomisé en double aveugle reste le standard, mais nous devons convaincre les régulateurs que l’IA peut améliorer ce modèle, en réduisant le nombre de patients tout en conservant une rigueur scientifique. »
Les patients au cœur de la transformation
Une autre dimension clé évoquée lors de la table ronde a été l’acceptabilité par les patients. Jean-Louis Fraysse a expliqué que la transparence et la confiance sont essentielles : « Les patients doivent comprendre comment l’IA est utilisée et pourquoi elle améliore les résultats des essais cliniques. Il faut associer les associations de patients très tôt dans le processus. »
Audrey Giraud-Gatineau a ajouté que la personnalisation des essais grâce à l’IA pourrait renforcer cette acceptabilité : « Si nous pouvons prédire les réactions individuelles à un traitement, nous offrons aux patients une approche plus personnalisée et efficace. »
L’avenir des essais cliniques
En conclusion, les intervenants ont évoqué leur vision à 10 ans pour les essais cliniques. Patrick Meshaka a imaginé un modèle hybride, combinant données réelles et données artificielles, permettant de tester rapidement de nouveaux traitements sur des cohortes virtuelles avant de passer à une validation finale sur des patients réels : « Nous pourrions diviser par deux le nombre de patients nécessaires, accélérer la mise sur le marché des médicaments et réduire les coûts de développement de manière significative. »
Jean-Louis Fraysse a insisté sur la place de la France et de l’Europe dans ce domaine : « Nous avons une expertise forte en IA et une capacité unique à encadrer cette technologie. La compétitivité européenne dépendra de notre capacité à harmoniser la réglementation et à faciliter l’accès aux données. »
Cette table ronde a ainsi mis en lumière l’immense potentiel de l’intelligence artificielle pour transformer le paysage des essais cliniques. Si les défis réglementaires et éthiques restent à surmonter, l’IA offre déjà des leviers majeurs pour accélérer la recherche, personnaliser les traitements et renforcer la sécurité des patients.