Les méthodes visant à améliorer l’expérience utilisateur ont un rôle actif lorsqu’il s’agit d’élaborer des solutions digitales en santé ou d’améliorer des parcours de soins, au bénéfice des patients et des soignants. Plus globalement, les notions de design et d’innovation sont intimement liées.
Lors du salon Medintechs qui s’est déroulé à Paris les 10 et 11 mars, une table ronde animée par la Pr Corinne Isnard Bagnis a réuni différents experts à ce sujet. Quels sont les enjeux, les défis, les pratiques qui définissent le rôle du design en santé ?

Le design comme outil de transformation

Tout d’abord, le design permet de dépasser la simple fonctionnalité technique pour se concentrer sur l’expérience utilisateur. Selon Jean-Louis Fréchin (designer, architecte, auteur), « Le design, c’est finalement la gestion du changement, de la transformation ou du progrès au-delà de la nécessité. » Il ne s’agit pas seulement de créer des produits fonctionnels (« ça marche »), mais aussi des produits signifiants, c’est-à-dire utiles, perceptibles et désirables (« ça sert »).

Un environnement hospitalier en mutation

L’histoire du design est intimement liée à celle de la médecine. Des hospices gérés par des religieux aux hôpitaux modernes, l’approche a évolué. Le mouvement hygiéniste a influencé l’architecture, mais il a fallu du temps pour que l’on prenne en compte l’expérience du patient. Aujourd’hui, on parle de « domestication » de l’hôpital, d’hospitalité et de design de la relation. La révolution numérique pose les mêmes défis : les outils digitaux de santé doivent être aussi intuitifs et de qualité que les outils personnels que nous utilisons au quotidien (smartphones).

L’expérience utilisateur au cœur des projets de santé digitale

Nicolas Chauveau (designer, EntreAutre design studio), est revenu sur des exemples de projets d’accompagnement menés pour des entreprises. Lors d’un projet pour un industriel produisant des tables de radiologie, les méthodes de design « classiques » ont été mobilisées : immersion, compréhension des besoins, interviews utilisateurs, observations, production de maquettes et prototypes (itération).

Mais le domaine de la santé apporte son lot de complexités et de défis. Il s’agit notamment de trouver l’équilibre entre s’appuyer sur l’existant et innover, sans surcharger cognitivement les utilisateurs avec de nouveaux outils. La question se pose d’ailleurs de savoir si le bon design ne consiste pas parfois à faire disparaître l’objet en intégrant sa fonction aux outils existants ! 

Il faut aussi tenir compte de la diversité des utilisateurs (patients, soignants, ingénieurs, administrateurs), et d’autre part, prendre soin de mettre tous les acteurs autour de la table pour discuter et valider les innovations, ce qui permet de décentrer les points de vue, éviter les biais, et de comprendre les priorités de chacun.

L’Intégration des designers dans les structures hospitalières

Marie Coirier (designer et directrice de projets) partage son expérience de co-fondation d’un laboratoire de design intégré en 2016 au GHU Paris Psychiatrie & Neurosciences, lors d’une fusion administrative de trois établissements psychiatriques publics, pour accompagner le changement en travaillant sur les cultures professionnelles et hospitalières à travers les métiers de la culture. Au bout d’un an, le lab-ah a reçu un accueil favorable, installant le fait de travailler sur l’accueil et l’hospitalité. Ici aussi, des défis sont apparus, comme celui de trouver un terrain d’entente avec les représentants des usagers pour travailler directement avec les usagers ; ce qui s’est produit avec le temps, mais aussi grâce au déploiement progressif de la culture de l’expérience patient dans les hôpitaux d’une part, et la culture du partenariat en santé d’autre part (patients partenaires).

D’autres obstacles concernent les rapports de pouvoir et la communication entre les administratifs, les médecins, les paramédicaux et les patients, nécessitant beaucoup de préparation et de médiation (y compris sur des problématiques de champ lexical commun) pour que la participation soit effective.

Un point d’attention doit également être donné sur la nécessité de donner du feedback sur l’issue des projets aux usagers qui ont été mobilisés, et plus globalement de développer une ingénierie de la participation pour s’assurer des bonnes pratiques de celle-ci (feedback, utilisation de la parole, éthique).

La certification des dispositifs médicaux

Virginie Siloret (directrice mondiale certification des dispositifs médicaux – SGS) a expliqué comment les process de certification amènent également à améliorer les dispositifs et à redonner du sens et de la pertinence à ces solutions digitales, le design étant désormais un critère important dans l’évaluation des dispositifs médicaux. 

L’objectif est de garantir la sécurité et l’efficacité des dispositifs pour tous les utilisateurs, en tenant compte de l’ergonomie, de l’usabilité et de la documentation fournie aux utilisateurs et aux patients, ce qui est particulièrement important avec l’hospitalisation à domicile. La certification tient compte des étapes de design (pré-design, pendant le design, études cliniques et de usability). Le suivi post-market via la base de données européenne EUDAMED permettra aux utilisateurs de donner un retour direct, alimentant une boucle d’amélioration continue pour les fabricants.


Qu’elles soient intégrées au sein des structures de santé ou apportées par des intervenants pour accompagner des entreprises, la promotion des approches collaboratives participe à l’innovation et au succès des projets (digitaux ou non) en santé. La notion de santé participative se déploie, les outils digitaux doivent s’intégrer totalement dans le réel des soignants et des patients – avec visiblement des progrès à faire ; et le design intervient justement pour aider à faire le lien entre innovation et humain.

Véronique Guérin
Passionnée par l’innovation et la transformation des organisations, Véronique accompagne les start-ups et acteurs de la santé dans la conception d’expériences digitales et stratégiques. D’abord illustratrice médicale, elle a évolué en agence en tant que Directrice Artistique et UX/UI Designer. Forte d’une expertise en design d’interface, marketing, IA et design thinking, elle met aujourd’hui ses compétences au service du secteur de la santé.